Concours d'écriture de juin 2019

Le bruit et l’odeur.
C’étaient, lui avait-on dit avant de l’embarquer presque de force dans cet endroit, les premières choses qui s’estompaient, mais elle ne pouvait s’empêcher d’être importunée par ces menus détails, quand ce n’était pas la lumière tantôt tamisée, tantôt stroboscopique, qui lui retournait l’esprit.
Ses amis faisaient avec, l’alcool aidant, mais le mojito qu’elle sirotait depuis une heure et demi lui avait coûté plus d’argent que le repas qu’ils avaient partagé au restaurant une heure plus tôt, et il contenait juste assez de rhum pour éviter l’assignation en publicité mensongère au barman. Elle se tenait donc seule, adossée au comptoir, ses amis étant déjà parti illuminer la piste de danse, ou « dènsse flore », comme disaient les adolescents à côté d’elle, qui avaient par miracle réussi à tromper la vigilance des videurs.
Au vu des coups d’œil libidineux que lui jetaient par intermittence lesdits garnements, ainsi que d’autres qui n’avaient même pas pour eux l’excuse d’un flot incontrôlable et inédit d’hormones, elle en vint à regretter ses décisions. Pourquoi s’était-elle faite entraîner ici ? Elle aimait les grands espaces, le calme, l’absence de toute vie humaine inconnue à perte de vue, pas la sueur, les DJ médiocres qui pensaient qu’aveugler leur public le rendait aussi sourd, ni être vue comme un objet par un bon tiers des gens qui l’entouraient. Que ne donnerait-elle pas pour être ailleurs ?

Le bruit, et l’odeur.
C’était ce qui l’avait le plus marqué la première fois qu’il était monté dans cette poubelle à moteur, et malgré le temps qu’il y passait il n’arrivait pas à s’en défaire. La prochaine fois, il resterait chez lui, béguin persistant ou pas. Ses trois compères s’amusaient comme des petits fous sur cette route désertique, à mille milles de toute terre habitée, de tout lit douillet (et dieu sait qu’il en avait besoin, vu l’état de son dos après une journée passée adossé à une planche de bois recouverte de tissu), et du signal internet le plus proche. Au moins il aurait un droit de regard sur les selfies qui seraient publiés sur son réseau social favori.
Quand l’arrêt fut enfin prononcé, après des heures à ne pas voir d’animaux sauvages et à observer le même paysage désertique défiler à une vitesse ridicule (quelle idée de prendre une 4L, tout ça pour « mieux sentir la route »!), il soupira de soulagement. Son principal réconfort de la journée, en plus de l’ambiance cordiale et rieuse qui régnait dans la voiture, était le bivouac. Pas fous, ses comparses avaient prévu large, et ils avaient de quoi se remplir la panse, et éponger toute cette nourriture.
Cependant, alors qu’il jetait un dernier regard énamouré à la seule femme du groupe, et que chacun s’en retournait vers la voiture pour l’étape de l’après midi, il se prit à regretter son choix. Il savait très bien pourquoi il s’était fait entraîner ici, mais il n’était pas fait pour ça : il aimait les grandes métropoles, le contact humain et la musique de qualité, pas le silence, le désert américain à perte de vue et les crises cardiaques horaires quand le conducteur de la 4L avait un défaut d’attention. Que ne donnerait-il pas pour être ailleurs ?


Il se réveilla en sursaut et sut tout de suite que quelque chose clochait quand un bruit atroce lui assaillit les oreilles. Il faisait encore sombre, donc il n’était pas très tard… un projecteur manié sans précaution l’aveugla promptement. Que se passait-il donc ?

Elle contempla le paysage, un peu hébétée. Elle ne pensait pas en piquant du nez faire un rêve aussi étrange. Elle se pinça, sans succès. Puis cria.

Il contemplait les trois personnes autour de lui qui le regardaient d’un air amusé, pas du tout inquiétés que leur amie ait disparu, remplacée par un homme censé être à des milliers de kilomètres de là, pas du tout en tenue de soirée contrairement à l’intégralité de la population de la boîte de nuit (au vu du prix des consommations, il n’était pas dans un bar, même parisien) dans laquelle il se trouvait, et à l’hygiène douteuse de celui qui n’avait pas vu de douche depuis une semaine.
«Salut ! Comment ça va ?»


À peine réveillée, elle se retrouvait à discuter avec les gens avec qui elle s’était retrouvée, qui lui avaient gentiment prêté une bouteille d’eau. Elle avait apparemment échangé sa place avec un de leurs amis (comment et pourquoi, elle n’en savait rien), et se trouvait actuellement au beau milieu des États-Unis avec trois autres personnes en Road Trip.
« Et toi, qu’est-ce qui t’est arrivé pour que tu te retrouves là ?

-… je me suis endormi, en regrettant un peu d’être là, et me je suis réveillé ici. Si j’avais su, je n’aurais peut-être pas pensé ça...
- Pas de regrets, ce n’est pas la soirée pour ça ! Aujourd’hui on fête les 18 jours depuis le dernier anniversaire de l’un d’entre nous, et puisque tu as visiblement échangée avec l’heureuse élue, c’est toi qu’on va inviter !
- Je suis absolument pas habillé pour…
- Pas de protestations non plus ! Maintenant, viens danser ! »

La voilà qui se retrouvait au volant d’une voiture, dans un désert paradisiaque, avec de parfaits inconnus. Le rêve. La route étant déserte, elle pouvait consacrer son attention à s’imprégner des paysages (au moins jusqu’à ce qu’ils croisent un énorme camion et que, manquant de faire une embardée sous le coup de la surprise, elle décide sagement de passer le volant), et à discuter. Ils parlèrent de tout, de rien, d’eux, et de celui qu’elle avait, malgré elle, remplacé. Elle en apprit beaucoup et, à travers les récits joyeux de ses amis, les regards nostalgiques et les joues rougies d’une des voyageuses, en vint à apprécier cette homme qu’elle ne verrait probablement jamais.

Il dansa donc. Ils dansèrent tous, jusqu’à n’en plus pouvoir, et continuèrent encore, jusqu’à se faire jeter hors de la boîte de nuit (il avait eu raison) quand un client régulier décida que « non » n’était pas une réponse valable, et qu’ils lui expliquèrent par l’exemple l’importance du consentement, en matière amoureuse comme lorsqu’il s’agit de conserver intacte sa dentition.
Ils déambulèrent donc jusqu’à un petit parc, « le coin le plus sympa de cette métropole pourrie » selon ses nouveaux camarades, qui insultaient sans trop y croire leur maison. Ici, dans cette ambiance radicalement différente et bien plus propice à la discussion, il apprit à connaître cette bande de vieux copains, inséparables depuis l’enfance. Il entendit beaucoup parler de celle dont ils fêtaient le pas-tout-à-fait anniversaire. A travers les anecdotes, les fous rires et les mines réjouies, il se prit d’amitié pour cette femme qu’il ne verrait probablement jamais.


Vint l’heure du coucher. Après leur bivouac (ils l’avaient nourrie sur leurs propres rations, pour conserver celles de leur ami), ils restèrent autour du feu pour une partie de cartes (elle sentit la déception de son partenaire devant sa nullité à la belote), il remirent du bois sur leur feu de camp, se glissèrent dans leurs sacs de couchage et se préparèrent aux dernières discussions avant que vienne le sommeil. Une idée lui vint : avant de se coucher, elle fouilla, presque honteusement, le sac de celui qui l’hébergeait bien involontairement, jusqu’à trouver du papier et un stylo. Elle griffonna quelque chose dessus, rangea le tout en mettant le papier bien en évidence dans le sac, et se rendormit.

Vint l’heure du coucher. Ils se dirigèrent vers l’appartement le plus proche. C’était visiblement une habitude, puisqu’une fois arrivé il vit chacun se diriger sans mot dire vers un couchage, qui avait été disposé à l’avance. On lui indiqua, en se moquant gentiment de son indécision, un sac de couchage et tout le monde partit se coucher. Avant d’oublier, il demanda où trouver du papier et un stylo et, utilisant la lumière de l’aube, griffonna quelques mots sur son papier. Ensuite, il alla se coucher et s’endormit comme une masse.

Huit heures plus tard, il se réveilla. Ses amis étaient déjà en train de petit déjeuner, et lui sautèrent au cou en le voyant. Après moult effusions, ils se racontèrent leurs journées respectives.


Elle se réveilla huit heures plus tard. Comme toujours, elle était la première levée, mais pour une fois n’eut pas à attendre longtemps pour que débarquent ses amis. En les voyant, elle se rendit compte à quel point ils lui avait manqué.

"Le camion est arrivé en face, et elle a poussé un de ces cris ! Si on n'était pas passés à deux doigts de la mort, on aurait éclaté de rire. J'avais jamais vu un cactus d'aussi près"
-Et vous l'avez laissée conduire après ça ?
- C'est elle qui a eu le plus peur dans l'histoire, elle est descendue et a refusé de remonter sur le siège conducteur. Mais on a bien ri le soir en en reparlant : plus de peur que de mal, au final. Elle était super sympa.
-Ouais, elle faisait pas la tronche la moitié du temps, au moins !
-Ça serait venu à force de vous voir toute la journée !
-D'ailleurs, en parlant de mal, qu'est-ce que tu t'es fait à la tempe ?"

"Et là le mec me dit "on me dit pas non" et a essayé de m'embrasser. Forcément je lui ai écrasé les parties avec mon genou, mais il a commencé à ramener des potes a lui en se tordant au sol. On s'en est sortis sans trop de mal mais comme c'est des habitués on s'est faits virer. Par contre notre nouveau copain a pris une se ces mandales !
-Il vous a suivi ?
-Il a même pas hésité, on aurait cru qu'il avait fait ça toute sa vie. Ou alors il sera tombé sous mon charme...
-Désolée, mais j'ai quelques doutes !
-Mais bon, il était très sympa, on regretterait presque que tu l'aies remplacé !
-Hey !
-Et, du coup, qu'est-ce qui t'est arrivé ?
-Déjà, je pense que je vais rentrer en métro...
-Raconte !"

Il regardait le paysage, en essayant de ne pas bouger pour ne pas réveiller celle qui dormait sur son épaule. Ils ne se quittaient plus depuis son retour. Il décida de fouiller son sac à la recherche d'un livre pour passer le temps silencieusement en attendant son réveil, lorsqu'il aperçut un papier griffonné. Il le déplia et sourit. Soudain, son téléphone vibra.


Elle faisait ses affaires pour repartir (pas en métro mais en tant que passagère). Au moment de partir, le maître des lieux lui indiqua qu'elle oubliait quelque chose. En voyant le papier, elle sourit, sortit son téléphone et envoya un message.

"Bien dormi ? Pas trop mal à la tête ?
-Ça va ! et toi, tu te sens de remonter dans une voiture ? :p"

Décidément, ils avaient tous les deux passé une excellente journée.

C'est le texte 4 de DerpFerret !